Escalade, faut-il vraiment sortir de sa zone de confort?
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Les expressions caricaturales à la mode ne s’appliquent pas toujours bien au monde de l’escalade. Si on prend par exemple la trop fameuse « trop de force tue la force » et ses multiples variantes, il y a un fond de vérité qui peut aider. Par contre, je ne supporte pas l’utilisation à toutes les sauces de cette idée qu’il faut « sortir de sa zone de confort » pour progresser en escalade.
Imagines, tu fais du 6b régulièrement, tu as une grimpe plutôt physique, tu n’aimes pas voler, tu te crispes dès que la cotation est un petit peu plus élevée et n’ose pas lancer ces derniers mouvements qui te feraient enfin enchaîner ce magnifique 6c. Ce petit pas en dalle sous le relais n’est pourtant pas dur. Néanmoins tu ne parviens pas à rester concentré en arrivant fatigué là-haut, et à chaque fois tu perds le fil, désescaladant 3 mouvements pour te faire bloquer, avant même de l’avoir engagé. Tu détestes ce pas car il te fait peur. C’est presque pire à chaque essai.
Ton pote plus expérimenté et plus fort que toi sais que tu as cette voie dans les bras. Il veut bien faire : « Tu dois sortir de ta zone de confort pour le croiter ce projet. C’est tout dans la tête ! Même si tu me le demandes, je ne te bloquerai pas avant le pas, je balancerai même 3 mètres de mou. »
Comment allez-vous vous comporter dans ce cas ? Si vous êtes suffisamment expérimenté, que vous avez assez de recul sur vos failles dans la gestion de vos émotions, et d’outils pour y faire face, cette méthode commando peut fonctionner. Parfois un bon coup de pied aux fesses peut faire du bien, mais seulement si on est armé pour réagir adéquatement.
Dans la majorité des cas, cette méthode ne fonctionnera pas car elle joue sur des leviers négatifs : « Si je sors de ma zone de confort, cela veut donc dire que je vais entrer dans la zone de la peur, voir de la panique ? ».
Pourtant, c’est bien l’inverse que l’on recherche. Rester concentré, garder la confiance et ne pas se laisser (totalement) envahir par des pensées négatives. Il faut donc ETENDRE SA ZONE DE CONFORT ET NE PAS CHERCHER A EN SORTIR. C’est un travail à réaliser avec méthode et patience, comme les athlètes interviewés dans le livre « Vaincre ses peurs » l’expliquent. Pour cela, une aide extérieure est souvent indispensable.
Prenons quelques cas concrets, des situations classiques de blocage que rencontrent beaucoup de grimpeurs.
Ce pas en dalle qui te bloque sous le relais
Il s’agit de la situation typique évoquée plus haut. Une solution peut être de faire, de refaire encore ce pas, d’abord en moulinette puis en tête en repartant du spit en dessous. Dans votre tête, dites vous que vous êtes dans l’enchaînement, que vous partez du bas.
Depuis le sol, avant de mettre un essai, on visualise la réussite. On la visualise à nouveau en arrivant au pas.
Le rétablissement d’un bloc qui fait peur
Plutôt que de faire face à un blocage mental et de sauter encore de ce réta, il faut mieux là aussi se faciliter la tâche pour ensuite être au niveau. Cela peut se faire par exemple en utilisant la corde pour l’apprendre et le maîtriser (bloc en extérieur).
Utiliser au début une prise en plus, où reproduire le même style de mouvement moins dur ou plus bas peut aussi très bien fonctionner (bloc indoor).
J’ai peur dans les voies en surplomb
La patience sera la clé. Grimper des blocs et encore des blocs faciles en gros dévers, puis des voies faciles. Ne pas chercher à monter trop vite en cotation. Des conseils techniques aideront évidemment, même il faut répéter encore et encore.
Autorisez-vous des étapes pour atteindre vos objectifs. Tout est une question de méthode, de dosage entre prudence et avancées. Résistez à la pression sociale qui veut vous jeter dans le grand bain alors que vous n’êtes pas prêt.
Soyez bienveillant avec les autres grimpeurs qui sont eux aussi face à une voie, un bloc ou une habilité technique qui leur pose problème. Aidez les à réaliser des petits pas pour ensuite franchir le grand… quand le moment est venu.
J’apprécie vraiment cette approche. Je trouve aussi l’expression « sortir de sa zone de confort » assez péjorative et limite dégradante pour ceux et celles qui sont dans une situation de vouloir sans pouvoir parce que comme tu le dis très bien « pas prêt », « pas mûr » que ce soit physiquement ou mentalement. Un combat souvent d’abord mental difficile à mener. Merci pour tes conseils. Ça fait du bien de lire ça de la part d’un entraineur!
Un article très intéressent sur les peurs irrationnelles et rationnelles, rejoignant cet article dans sa conclusion:
https://www.strongmindclimbing.com/blog/why-the-rational-irrational-fear-and-the-real-perceived-risk-distinction-isn-t-that-helpful