Entraînement force doigt : faut-il utiliser la méthode des “10 minutes” d’Emil Abrahamsson?
Partager la publication "Entraînement force doigt : faut-il utiliser la méthode des “10 minutes” d’Emil Abrahamsson?"
Nous vivons une période durant laquelle l’entraînement en escalade évolue rapidement. L’entraînement physique aussi bien que mental et technique.
Mais restons sur la préparation physique. Aller systématiquement jusqu’à l’ouverture des doigts en suspension sur poutre, forcer quand on est fatigué, s’exploser les avants bras à tout prix, exécuter des crunchs et des planches de 2 minutes, faire trop de volume de voie basique, etc, etc, ET etc : une quantité de mauvaises habitudes perdurent mais commencent à avoir du plomb dans l’aile.
Si on se focalise uniquement sur le thème de la force des doigts, là aussi ça bouillonne. Avec des nouveautés comme les clusters, le no-hang/pick-up, le curling, l’utilisation d’un capteur de force et j’en passe. Malheureusement, tout cela reste peu visible dans le milieu francophone de la grimpe. Il vaut mieux lire et comprendre très bien l’anglais ou l’espagnol pour s’informer et échanger. Alors voyons comment je peux vous aider dans ce contexte.
Aviez-vous suivi le coup de buzz réussi par le grimpeur suédois Emil Abrahamsson en 2021, avec son fameux entraînement des 10 minutes ? Il réapparait dans l’actualité et le marketing. Et c’est intéressant d’y revenir avec plus de recul. Que vaut cette méthode ? Faut-il l’utiliser ? Ou l’adapter ? Bref, on en est où?
L’entraînement des “10 minutes” d’Emil Abrahamsson
Voilà dans la vidéo ci-dessus le fameux « entrainement des 10 minutes » d’Emil Abrahamsson. Pour mettre au point cette méthode, le frère d’Emil, Felix s’est inspiré d’une étude de Keith Baar (“Minimizing Injury and Maximizing Return to Play: Lessons from Engineered Ligaments”). Une étude consacrée aux tendons, aux ligaments (donc les poulies), à la diminution du risque de blessure et au retour de blessure. Il y aurait beaucoup à dire sur cette étude et le sujet (voir cette vidéo). Mais on reste focus sur la force doigt et le protocole “des 10 minutes”.
Cette méthode consiste à réaliser 10 suspensions “faciles” de 10 secondes, avec 50 secondes de repos. Différentes préhensions sont utilisées.
Cela prend au total 10 minutes (sans inclure un mini échauffement facultatif). Je ne détaillerai pas plus le contenu. Tout est dans l’image insérée dans ce texte. Et dans la vidéo.
Deux séances sont réalisées par jour. Emil s’impose un minimum de 6 heures de repos entre les séances.
Après 30 jours, Emil aurait tout simplement muté en force doigt. C’est hallucinant !? Les gains en temps de suspension vont même jusqu’à 2600%.
Que penser de la méthode des “10 minutes”
Alors qu’en penser ? Si on ne s’en tient qu’à la vidéo. Comme je l’ai écrit plus haut, les résultats sont spectaculaires. C’est indéniable.
MAIS je me demande :
– Quels entraînements, ou quelle pratique de l’escalade, Emil a-t-il suivi durant ces trente jours, en complément de l’entraînement des “10 minutes” ?
– Que signifie 50-60% ou 70-80% de “ce qu’il faut pour me lever du sol”?
– Pourquoi placer aussi mal ses coudes, ses épaules et sa nuque lors des suspensions (c’est hors-sujet peut-être, mais ne faites pas ça!).
La chaîne Youtube Hopper’s Beta revient de manière très posée sur le protocole dans cette vidéo. Plusieurs explications sont avancées pour expliquer ces gains de force (voir l’image que j’intègre dans ce texte). Aucuns des paramètres analysés ne semble pouvoir expliquer directement les gains. Mais certains ont clairement un rôle. Et pourraient se combiner entre eux, même si aucun pattern de progression évident ou majoritaire ne se dégage.
Beaucoup de grimpeurs ont testé cette méthode. Qu’ils soient à haut niveau ou pas, médiatisés ou pas. Vous en connaissez certainement. Par exemple, la bloqueuse hannah morris a utilisé ce protocole pour revenir d’une rupture de poulie. Elle en parle dans cette vidéo.
Le grimpeur écossais Dave Mac Leod, toujours aussi impliqué et partageur de ses connaissances, est aussi passé par là pour s’exprimer sur le sujet. Il donne son ressenti dans cette vidéo. Le contenu est dense, comme à chaque fois. Evidemment Dave est très critique et on comprend bien que « l’effet Youtube » ne l’emballe guère!
Pour résumer, Dave affirme que :
– On aurait besoin d’une vraie étude scientifique avec au minimum un groupe contrôle.
– Mesurer un temps de suspension n’est pas révélateur. Il vaudrait mieux mesurer un niveau maximum de force. C’est un excellent argument!
– Il faut surtout utiliser les « max hangs » (suspensions courtes à haute intensité). Couplées à des séances de bloc « à doigt ».
– Les suspensions à basse intensité peuvent permettre de prendre confiance en ses doigts.
– S’entrainer 2 fois par jours permet néanmoins de mettre de la régularité et de la constance dans son entraînement. Ce qui est indispensable pour progresser de manière durable.
Si vous avez testé vous même la méthode des “10 minutes”, et que vous souhaitez partager votre retour, n’hésitez pas en commentaire de cet article. Même chose si d’autres retours intéressants sont disponibles sur le web.
Mon protocole avec les suspensions à basse intensité
J’utilise les “suspensions” à basse intensité depuis l’été 2023. Je suis venu à ce type de protocole par le besoin de mettre en place des méthodes pour la rééducation après une blessure à une poulie (voir cet article, et aussi cette page). Il s’agit en fait de tirer sur les prises en gardant les pieds au sol.
J’ai regardé ce qui se faisait dans le milieu médical (voir cette conférence par exemple), dans d’autres sports, en mixant tout cela avec mon expérience, les intervalles habituelles de la préparation physique, et en faisant des essais sur moi bien évidemment (un vrai coach s’entraîne, grimpe, et teste). L’utilisation d’un capteur de force durant les intervalles m’a permis d’avoir un retour encore plus précis sur les progrès réels que le RPE seul ou des tests de force max fatiguants/traumatisants. Le ressenti de la douleur reste par contre subjectif. Cela n’est pas un problème. Il faut veiller à ce que surtout elle n’augmente pas à court terme, et tende à diminuer à moyen terme.
L’idée étant de proposer des efforts longs (15” à 20”), isométriques (statiques) et peu intenses (RPE 4/10) pour engendrer un renforcement des structures (ligaments, tendons). On ne fatigue pas le muscle, cela n’est pas du tout l’objectif. Je ne m’aventurerai pas plus loin dans des explications que je ne maîtrise pas ! Kiné et chercheurs, je vous écoute (compliance, synthèse de collagène, etc).
Puis, j’ai intégré ce protocole d’entraînement, que j’appelle désormais la “préparation des doigts” dans mon entraînement, et dans celui de tous les grimpeurs que je suis, même et surtout s’ils ne sont pas blessés !!! Je vous invite à lire le chapitre “la force des doigts” de cet article. J’y présente le continuum des méthodes que j’utilise.
Donc protocole “préparation des doigts” pour :
– Les grimpeurs en retour de blessure.
– Mais aussi pour les grimpeurs qui partent de très loin en force doigt et/ou qui ne se sont jamais entraînés.
– Et surtout pour TOUS les grimpeurs que je suis, en utilisant des préhensions considérées à raison comme traumatisantes (full arqué, bi arqué, mono, etc). En coordination avec tous les autres types d’entraînements possibles programmés, que cela soit en grimpant, ou en préparation spécifique.
Dès le début, j’ai eu d’excellents résultats. Sans tirer fort donc, seulement avec de la « prepa doigt ». Particulièrement, ce qui est logique, avec les grimpeurs qui ne s’étaient jamais entrainés et qui subissaient un type de préhension en particulier (on a nettement 2 grandes familles avec ceux qui sont doués pour le tendu, et d’autres pour l’arquée). Je me souviens d’un jeune de 16 ans, Théo, passant de 6c à 7c voie (sur plastique) en 2 mois. Simplement grâce à des tirages de 20” sans forcer sur des semi-arquées (et à une énorme implication dans sa progression et ses essais aussi, il n’y a pas de progrès miraculeux, sauf sur Instagram!).
Dans mon cas, comme pour d’autres grimpeurs expérimentés que j’entraîne, je couple donc les 2 méthodes. La force doigt ou « max hangs » (des efforts intenses de 5” à 7”, au minimum à 80% d’intensité, avec un rpe de 8 à 9/10, souvent avec des clusters); couplée avec de la » prépa doigt » sur des mono-doigt d’annulaire, de majeur, des bis ou pistolets en tendu ou en arqué, et du full arqué avec le pouce sur l’index). Ce couplage est réellement très bénéfique, c’est surprenant. Je progresse sur les préhensions délicates, mais je progresse aussi plus sur les progressions standard. Plus que si je ne faisais que de la force doigt (max hangs).
Tirer (à une main) 23kg en full arqué sur 10mm durant 20 secondes est facile pour moi (RPE 4/10 environ). Et pourtant cela me fait progresser sans prendre de vrais risques pour mes poulies. Alors pourquoi tirer plus fort ? Je tire fort en semi-arqué seulement.
Pourquoi je progresse avec la basse intensité de la « préparation des doigts » ? Coordination intra/inter musculaire ? Tendons plus rigides ? Plus de confiance ? Meilleure répartition des forces sur les différents doigts impliqués et un placement plus adapté des phalanges ? Amélioration de la capillarisation grâce à la faible intensité? On s’en fout finalement, ça fonctionne et c’est bien. En tout cas les aspects de confiance et de TECHNIQUE DE PREHENSION sont, je pense, très intéressants.
La méthode des “10 minutes” : LE RETOUR
Revoilà Emil qui surfe sur la vague. Avec le docteur Keith Barr, vous pourrez les écouter sur “The Struggle Climbing Show”.
Non je déconne, ne fais pas ça ! Pour être honnête, le podcast est vraiment insupportable. Le ton marketeux est à vomir, le faux suspens, l’enthousiasme feint, tout ça avec une longue pause « promo » gênante… tous les mauvais côtés de l’escalade JO-3.0.
La vidéo sortie plus tard sur la chaîne d’Emil est par contre beaucoup plus digeste. Avec de l’humilité et du contenu. Je l’ai intégrée ci-dessous. Et dire que je me suis tapé le podcast pour rien…
Dans cette vidéo, il ne s’agit pas de revenir sur une étude scientifique. Le doc Barr a collecté les données des utilisateurs de l’appli Crimpd (www.crimpd.com) pour réaliser ce qui est dénommé une étude rétrospective.
Honnêtement, je ne pense pas que cela ait une grande valeur d’un point de vue scientifique. Mais cela confirmerait mon ressenti :
Coupler des suspensions intenses (max hangs) AVEC des suspensions à basse intensité (no-hangs ou abrahangs…) semble le plus efficace (par rapport à seulement grimper sans entrainement, ou grimper + suivre un seul des deux protocoles). A suivre donc.
D’autres idées ou constats vraiment dignes d’intérêt sont présentés dans cette vidéo. Mon avenir professionnel s’annonce passionnant!
Qu’en conclure pour son propre entraînement ?
Alors, je suis bien parti dans tous les sens (pourtant j’ai limité un maximum !) et il est temps de conclure. Que faut-il penser de la “méthode des 10 minutes “ ?
Globalement et raisonnablement, on peut en penser du bien car cela est bon pour la santé de nos doigts de grimpeurs.
Cependant :
– Attention aux placements des coudes, des épaules et des cervicales lors de l’entrainement sur poutre ou barre à traction (sur tout agrès en fait).
– Une utilisation du RPE (voir cette vidéo par exemple) est plus précise et pertinente que le 50-60% ou 70-80% de “ce qu’il faut pour me lever du sol”. Pas de discussion possible ! C’est très simple à mettre en place.
– Cela n’est pas une méthode miraculeuse, sauf dans de rares cas. Alors on garde son sang froid. Youtube (ou Instagram) c’est rarement la vraie vie. Surtout sur le thème d’un “sport” en pleine explosion. La quête du clic … la quête du fric …
– Pourquoi faire ça sur 30 jours seulement ? L’entraînement cela se pense à moyen et long terme. Avec de la constance et de la patience.
Donc, je conclus que, selon mon avis d’entraîneur et de grimpeur, il faut utiliser largement cette méthode mais en l’adaptant :
– Avec des durées de 15 à 20 secondes pour une RPE de 4/10.
– En l’utilisant très régulièrement pour prévenir les blessures, finir un échauffement, revenir de blessure ou débuter l’entraînement. Pour moi c’est une routine, comme les fixateurs des épaules, le gainage ou la basse intensité. Inutile de s’imposer la double séance, sauf pour une réathlétisation. Dans ce cas, c’est réellement justifié et très efficace.
– La coupler avec des méthodes plus intense (max hangs par exemple, ou du pan), si vous êtes prêt et que c’est la bonne période.
Tout cela va certainement s’affiner ou évoluer dans les prochaines années. Mais on se dirige probablement vers une polarisation de l’entraînement de la force des doigts. Comme ça l’est déjà généralement pour la globalité de l’entraînement des grimpeurs.
Je termine par une courte remarque. Je regarde ce qui se fait, ce qui se dit, ce qui s’explique dans les vidéos. Pourquoi chercher à tout prix un exercice intense, difficile, et fatiguant ? Si tu progresses en forçant avec mesure (au sens propre comme au sens figuré), dans l’exercice comme dans ta grimpe, pourquoi vouloir absolument te mettre dans le rouge? Autant en garder sous le coude pour plus tard. C’est bien plus qu’une remarque…
Salut Fred. D’abord merci pour ton message, c’est un vrai cadeau.
Pour moi ce une chose à faire, le renfor doigts ( toujours bien exécuté, bien entendu). Il faut l’inclure dans l’entraînement. La santé de mes doigts est au top. Après on va trouver pas
mal des méthodes. C’est à chacun ou chacune choisir le plus adapté. D’ailleurs il ne fait pas oublier que ça fait parti de s’entraîner. Ce n’est pas une recette miracle. Je rejoins Fred, de plus en plus il aura plus des infos par rapport à la force à doigts, et ça c’est super cool.