« Dans le Doute », anecdote d’une vie d’ouvreur
Que serait la grimpe sans ceux qui sont prêt à passer leurs jours de congés à chercher de nouveaux sites ? Brosser de nouveaux itinéraires, s’écorcher les mains, manger de la poussière au kilo et défricher les possibles méthodes ?
La magie de la grimpe est en grande partie dans ce travail de recherche à mes yeux. Quel bonheur de pouvoir débarquer sur un site encore vierge et marquer de sa version un site encore vierge ou sous développé ! Sortir à la nuit, après des heures de travail dans la forêt, épuisé mais heureux de ses petites œuvres…
L’enchainement personnel du bloc, bien que fantastique, n’est pas si important que ça à mes yeux. Le plaisir est de voir que le doux passage, nettoyé avec amour, était bel et bien possible. Proposer au monde de l’escalade un nouveau jouet, quelque part, comme le jour de noël devant un enfant qui déballe ses cadeaux !
Pour des heures de recherche, de coup de brosse, de terrassement, vous allez, peut-être, trouver le temps d’une dizaine de minutes, le plaisir infini dans un bloc, dans un mouvement, qui vous avait chatouiller les yeux.
Selon mon expérience, cela restera trop peu de fois par rapport au temps passer à chercher la perle, un instant trop fugace, mais le chemin n’est-il pas plus important que la destination ?
Je me souviens de beaucoup de passages déjà débusqués, il en fût un parmi ceux-ci à Saint-Peray, en Ardèche. C’était en 2015, au début de ma carrière de moniteur d’escalade, nous développions avec d’autres amis ce site, suite à des renseignements glanés à un « ancien » grimpeur du cru.
Ce passage reste presque mystique pour moi, une incompréhension, un bonheur intense qui résonne encore dans mes poulies ! Il m’est impossible de le qualifier, les mots ne me viennent pas. C’est une émotion, un sentiment, je pourrais juste dire « bonheur » à son sujet !
Nous avions déjà brossé plusieurs jours sur le site sans pour autant se poser énième projet sur ce bloc.
Il nous attendait, poser au bord de sa pente, une réception qui pouvait sembler délicate, une ascension peut-être trop courte sur ce bloc d’à peine 3 mètres.
Mais le moment finit par arriver. Le caillou s’avérait pur, compacte au possible, pas grand chose à serrer à part une micro fissure, à peu d’endroits suffisamment profonde pour arquer, une crougne, et une petite cuvette pour rétablir.
Après les usuels coup de brosse et interrogation affirmative, du genre « bon ça doit pas être si dur la petite est super franche… », les essais pouvaient commencer.
Après peu de tentatives je me retrouvais au sommet de ce bloc, trois mouvements dans les doigts et un sourire niais sur les lèvres. Ce fût un effort intense et facile en même temps, une difficulté abordable me semblait-il.
Le temps était à proposer une cotation. La phrase sortie de ma bouche naturellement « Dans le doute, je dirais 6b » le petit mythe était lancé !!
Les copains essayèrent le passage plusieurs fois sans réussir… Il n’était pourtant pas mauvais grimpeur ! Le nom du bloc était tout trouvé, ce serait « Dans le Doute » !
Après d’autre séances dans le bloc j’admettais, un peu contre mon gré, que mon premier sentiment pouvez être faux. Le nom prenait tous son sens, et je proposais donc pour la première fois de ma vie une double cotation 6b/7a vu mon impossibilité à évaluer le niveau de ce bout de caillou.
Il attend toujours un répétiteur à ce que je sais, perché sur le sommet de la pente, au-dessus du ruisseau de Hongrie.
Il reste toujours pour moi un point d’interrogation sur mon carnet d’ouverture, le « John Doe » de ma vie d’ouvreur. J’attends toujours de savoir, comme on attend le dénouement d’un bon polard. Il traine peut-être quelque part un ou une grimpeuse qui pourra, un jour, enlever le mystère qui me laisse « dans le doute ».
Peut-être qu’il méritera alors un nouveau nom, l’avenir seul peux maintenant nous le dire !
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